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Essai

Une histoire de la droite tiraillée entre elle-même

Dans un essai aussi éclairant que bien mené, Guillaume Tabard répare un manque. Il retrace soixante année d’histoire de la droite française. Un livre qui fait déjà date tant l’analyse est juste et précise.

Dans un essai aussi éclairant que bien mené, Guillaume Tabard répare un manque. Il retrace soixante année d’histoire de la droite française. Un livre qui fait déjà date tant l’analyse est juste et précise.

En France, il y a un paradoxe avec la droite. Politiquement, culturellement et dans le coeur des citoyens, elle ne réussit pas. La défaite morale et politique accompagne toujours une victoire électorale. Quand elle est majoritaire, elle recule et quand elle est en position de gagner, qu’elle a tout pour réussir, elle se vautre.

En 19 dates, de l’UNR aux « Républicains », du 3 novembre 1959 quand de Gaulle chasse Antoine Pinay au 26 mai 2019 et l’échec de Laurent Wauquiez à redonner un souffle aux « Républicains », Guillaume Tabard, éditorialiste au Figaro et à Radio Classique, retrace admirablement bien 60 années d’histoire de la droite. Et son constat est sans appel : la droite manque ses rendez-vous. Tant sur le plan idéologique, qu’humain et politique.

Achevant la droite avec une analyse pointue de ses « démons », le journaliste lui diagnostique cinq maux pas forcément inguérissables, si tant est que le patient veuille bien écouter le médecin : la division, la « difficulté à mettre en place un mode d’organisation », la malchance, « la peur, la pusillanimité ou la lâcheté aussi ». Et enfin « l’incapacité à définir un corpus idéologique ».

Une droite qui a du mal à se définir

Tout le talent de Guillaume Tabard est de décortiquer une droite qui ne s’aime pas, et qui a toujours eu du mal à se définir et donc à s’affirmer.

Face au magistère culturel et intellectuel que la gauche a sur le pays depuis l’après-guerre, on peut dire que le péché originel de la droite, c’est justement d’être « de droite ». Cette partie de l’échiquier politique a toujours eu du mal avec ce simple mot, tant il est associé, jusqu’à très longtemps après la Libération, au régime de Vichy.

Mais le plus effarant est son zigzag idéologique, plus que jamais personnifié par Jacques Chirac. À la fin des années 1980 le raisonnement du maire de Paris est simple : Reagan gagne aux Etats-Unis, Thatcher triomphe en Grande-Bretagne, « le libéralisme rapporte gros dans les urnes, va pour le libéralisme ». Mais c’est sans compter les forces d’opposition et la mort d’un jeune manifestant, Malik Oussekine, durant les manifestations contre la loi Devaquet. Alors là Chirac recule et celui qui affirme n’en avoir « rien à foutre de ces histoires de programme » referme la page des réformes et s’enfonce dans ce que la droite fait de mieux, attendre.

La concurrence FN arrive. Celui que l’on surnomme encore « facho Chirac » parle du « bruit et des odeurs » lors d’un discours en 1991. Et c’est peut-être là la plus grande erreur de la droite française, courir derrière les électeurs du Front National, ne pas parvenir à prendre leur voix et s’en remettre à l’antifascisme en espérant que cela convaincra les électeurs.

Le baiser de la mort aurait pourtant pu être tenté. Comme Mitterrand avec le Parti communiste dans les années 1970, la droite aurait pu étreindre le FN, lui faire croire à une alliance pour mieux le tuer. Mais sans stratégie claire, sans volonté puissante et ne voulant pas heurter la gauche, la droite s’est contenté de stigmatiser le parti d’extrême droite et d’élever autour de lui le fameux « cordon sanitaire ». Avec les résultats que nous connaissons aujourd’hui.

Des Présidents pas vraiment de droite

La plus grande malédiction que relève en creux Guillaume Tabard, c’est que les présidents issus de la droite n’étaient pas vraiment de ce bord politique là.

« Giscard et Chirac avaient la droite honteuse », seul Nicolas Sarkozy a été sincèrement de droite. Chirac vendait L’Humanité à 20 ans avant de se faire reagano-thatchérien puis de verser sincèrement dans ce qu’il était au fond de lui : un humaniste. Ce qu’Alexis Brezet a très bien résumé dans Le Figaro, « au fond la droite n’était pas son genre ». De Gaulle, lui, était gaulliste, donc inclassable, bien que marqué à droite et revendiqué, approprié par la droite. Quant à Pompidou et Giscard, leurs mandats paraissent presque anecdotiques faces aux deux précédents qui écrasent l’histoire et les scrutins.

Écrit avec un sens de la synthèse, de l’analyse et de l’histoire remarquable, Guillaume Tabard fait oeuvre utile. En effet la droite est rarement étudiée. Et si, parfois, on peut se dire que le journaliste a trop souvent recours aux raccourcis de l’inimitié entre les hommes, c’est peut-être parce que, avant les idées, la politique est une histoire d’hommes et de femmes. Et il n’y a que comme cela qu’elle peut se comprendre.

La malédiction de la droite. 60 ans de rendez-vous manqués, Guillaume Tabard, Perrin