A 27 ans, le Québécois Kevin Lambert déboule avec un second roman très réussi. Un histoire politique où tout le monde est à la marge et où les exclus flirtent avec le fantasme.
Il fait froid à Roberval, au nord de Québec, au bord du Lac Saint-Jean. Et pourtant un petit groupe de personnes piétine dans cette atmosphère gelée, à l’entrée d’une scierie, depuis plusieurs jours déjà. Ils sont en grève. Et parmi eux un homme, Querelle, que rien ne distingue des autres, sinon qu’il est apparemment beau, jeune et homosexuel.
Querelle du jeune auteur québécois Kevin Lambert, nous plonge au coeur du Québec, cette Belle Province, si proche de nous, Français, et pourtant si étrangère. Un territoire et ses habitants qui passent en dessous des radars, éclipsés par une version plus touristique et photogénique. Le Québec de Querelle est miné par la lutte des classes, le combat entre ouvrier et patron et un certain individualisme.
Ça c’est la version courte, limite factuelle de ce roman en vérité irrésumable.
De l’homosexualité au milieu des autres
D’abord une précision. Ce livre n’est en rien une histoire de lutte pour la cause homosexuelle. Ce serait trop facile et heureusement l’auteur n’est pas tombé dedans.
Un journaliste de Télérama a écrit, « Kevin Lambert rend son potentiel de révolte à l’homosexualité ». Certes, Querelle participe à la lutte syndicale, et sans trop en dévoiler, elle lui sera même fatale. Querelle ne se révolte pas parce qu’il est homosexuel et à aucun moment il n’est question de lutte pour la cause homosexuelle. Si « le potentiel de révolte » de l’homosexualité revient à dire qu’un gay peut se battre pour d’autres causes que l’homosexualité, nous le savions déjà. Un homosexuel peut tout aussi bien se révolter pour gagner un bon salaire et pour avoir des conditions de travail décentes, que pour défendre sa sexualité et ses droits.
Querelle est donc gay. Mais qu’importe. Querelle aurait pu être une femme. Un Noire. Un musulman. Ou même un nain unijambiste. La révolte est ailleurs.
La contestation, c’est quand ce roman associe ce personnage homosexuel à d’autres franchement homophobes ou tout simplement indifférents, dans une ambiance et un milieu délétère. Qu’importe leur richesse ou leur intelligence, peu importe leurs qualités ou leurs défauts, Kevin Lambert montre une société où tout le monde est à la marge
Un cadre societal où tout le monde est exclu et on tout le monde s’exclut les uns des autres, pour mieux se rassembler quand cela semble nécessaire. Il y a le patron, Brian Ferland et sa famille, à part, un peu au-dessus. Le groupe des ouvriers syndicalistes, la masse au centre du récit. Les bûcherons, un peu plus loin. Et puis, à côté, encore plus en marge du récit, trois jeunes marginaux qui terrorisent la ville. Et tout ce petit monde vit ensemble pour mieux se rejeter, s’entraider, se détester, s’épier et se soutenir.
Un énorme fantasme
Sans dévoiler la fin, les dernières pages du roman nous donnent à voir un héros transfiguré en quasi Christ, héraut de la lutte, sur lequel tout le monde s’acharne. Cruellement, humainement et même sexuellement. Mais il n’est pas le seul à mourir. Celui-là est assassiné, l’autre assassine, un autre tombe dans la folie, un dernier se suicide. Sans frontières de classe, l’auteur prend plaisir à faire souffrir ses personnages. Tellement de plaisir qu’un mot vient à l’esprit, le fantasme.
Tout est dans ce mot, Kevin Lambert flirte souvent avec le fantasme. Notamment dans les scènes de sexe ou quand il décrit ces pères de famille terrorisés et envieux à l’idée que Querelle attrape leur progéniture dans ses filets. Il est trash sans tomber dans le grand n’importe quoi. Parce que, finalement tout cela n’est que le fruit d’une imagination. Et l’on peut se dire que l’on ne comprend rien à l’histoire ou que l’auteur est un génie. Le refermer, y être totalement indifférent ou au contraire avoir été marqué.
Un vrai roman politique
L’auteur livre une histoire de combats, où la lutte est présente partout, en chacun de personnages comme entre eux. Elle est économique, sociale, mais aussi politique et médiatique. C’est aussi, par certains aspects, une critique de l’individualisme, et de l’égoïsme sans pour autant être un plaidoyer pour le collectif. Le groupe n’existe que par la somme des intérêts de chacun et une vague revendication ouvrière qui explose à la première anicroche.
C’est un roman qui laisse sans voix, parce que rien n’est prévisible. Certaines choses flirtent avec l’absurde mais sans tomber dans le bizarre ni l’improbable. On est emporté dans quelque chose de complètement barré, à la limite de la folie, mais toujours avec les pieds sur terre
Alors, une bonne fois pour toute, comment résumer ce roman ? On hésite entre le processus de sanctification d’un homme lambda transfigurés par la rage au ventre ou le simple délire fantasmé à base de sexe et de meurtre, aussi réaliste que plausible, d’un auteur accro (peut-être) aux plans cul entre bûcherons et à la lutte radicale. Mais ce n’est qu’un résumé parmi tant d’autres.
